Dans un modèle fondé sur un Acheteur Unique (AU), le recours aux enchères explicites s’impose comme une nécessité structurelle, dans la mesure où les mécanismes d’enchères implicites reposent sur des hypothèses économiques qui deviennent caducs dans ce nouveau cadre organisationnel.
Par nature, les enchères implicites — telles que pratiquées dans les dispositifs de couplage des marchés électriques en Europe — présupposent une formation des prix sur la base des coûts marginaux, c’est-à-dire le coût de production de la dernière unité appelée pour satisfaire la demande.
Ce signal de prix, éminemment volatil mais efficient, permet une allocation optimisée des capacités transfrontalières : les flux interconnectés se déclenchent dès qu’un différentiel de prix reflète une opportunité d’arbitrage entre deux zones.
Or, l’architecture économique propre à l’Acheteur Unique (AU) rompt avec cette logique marginaliste.
Dans un tel modèle, l’entité centrale — généralement publique ou para-publique — contracte directement, en amont et sur le long terme, avec les producteurs d’électricité.
Ces contrats, qu’ils prennent la forme de Power Purchase Agreements (PPA), de Contracts for Difference (CfD) ou encore de mécanismes de type Regulated Asset Base (RAB), sont conçus pour assurer la couverture intégrale des coûts engagés, y compris les coûts fixes, les investissements initiaux et la rémunération du capital.
Par conséquent, le prix de revente de l’électricité par l’AU repose non plus sur le coût marginal instantané, mais sur une moyenne pondérée des coûts contractuels — autrement dit, sur le coût moyen.
Ce glissement du coût marginal au coût moyen invalide de facto le fondement même des enchères implicites, lesquelles reposent sur l’existence de signaux de rareté à la marge.
Dans un contexte où les prix de marché ne reflètent plus directement les tensions de court terme sur l’offre et la demande, les flux interzonaux ne peuvent plus être alloués automatiquement par un algorithme de couplage fondé sur les écarts de prix spot.
Il devient donc indispensable d’introduire des enchères explicites pour l’attribution des capacités d’interconnexion, dans lesquelles les acteurs expriment ex ante leur disposition à payer pour un droit d’usage sur une capacité transfrontalière donnée, indépendamment des signaux de marché horaire.
Ce recours aux enchères explicites présente plusieurs avantages dans un contexte dominé par l’AU.
D’une part, il permet de maintenir un espace de concurrence et de révélation des préférences économiques dans un cadre par ailleurs centralisé et administré. D’autre part, il offre un instrument de valorisation efficace des congestions et d’allocation transparente des capacités, contribuant ainsi à une certaine forme d’intégration régionale, malgré l’absence de marché spot véritablement marginaliste.
Enfin, il permet à l’AU de préserver la cohérence de son modèle de planification tout en s’insérant, de manière contrôlée, dans un espace électrique plus vaste.
Toutefois, cette évolution implique une refonte en profondeur du design de marché, une redéfinition des règles d’allocation de capacité tant ex ante qu’ex post, ainsi qu’un effort accru de coordination entre régulateurs, gestionnaires d’interconnexions et autorités contractantes.
Ce n’est qu’au prix de cette transformation institutionnelle et technique que l’on pourra concilier l’objectif de soutenabilité économique propre au modèle de l’Acheteur Unique avec les exigences d’efficience, de transparence et d’intégration propres à un système interconnecté.
Pour ma part, je considère que le recours aux enchères explicites ne constitue pas seulement une option pertinente, mais s’impose comme la seule solution pleinement cohérente avec l’architecture d’un marché organisé autour d’un acheteur unique.
Ce mécanisme apparaît, selon moi, comme la clef de voûte permettant de réconcilier deux logiques a priori antagonistes :
D’un côté, une approche contractuelle fondée sur des coûts moyens, relevant d’une planification centralisée et pluriannuelle ; de l’autre, les exigences d’efficience, de transparence et de valorisation économique des capacités d’interconnexion dans un espace électrique régional ou continental.
L’instauration d’enchères explicites permet, en effet, de préserver un espace de révélation des préférences et de confrontation des offres, même dans un environnement où le signal marginaliste de rareté a été neutralisé par la centralisation des achats et la mutualisation des risques.
Elle offre aux acteurs une possibilité concrète d’exprimer leur valorisation de la capacité transfrontalière, sans dépendre d’un signal de prix spot devenu inopérant. Ce faisant, elle restaure un minimum de rationalité économique dans l’allocation des ressources interconnectées, tout en respectant l’esprit du modèle AU, centré sur la stabilité, la solvabilité et l’accès universel à l’électricité.
Je vois dans ce dispositif une articulation vertueuse entre logique administrative et mécanisme de marché.
L’enchère explicite devient alors le point d’équilibre entre coordination centralisée et incitation économique, entre vision de long terme et efficacité allocative de court terme. Loin de constituer un reliquat d’un modèle concurrentiel dépassé, elle s’affirme comme une transposition ajustée des principes de la concurrence au sein d’un cadre institutionnel repensé.
En définitive, je soutiens l’idée que les enchères explicites ne sont pas un simple aménagement technique, mais une condition structurelle du bon fonctionnement du modèle à acheteur unique dès lors qu’il s’inscrit dans un système interconnecté.
Elles permettent d’en préserver la cohérence interne tout en assurant son ouverture maîtrisée vers des échanges régionaux, dans le respect des impératifs d’équité, de soutenabilité et d’efficacité économique.
L’Acheteur unique (AU) : vers un appel d’offres fondé sur le coût moyen pour une concurrence régulée ?
Quelle alternative à l’ARENH ? Doit-on restaurer un monopole intégré ou privilégier une tarification fondée sur le coût moyen, établie par appels d’offres ?
Le texte demeure silencieux sur cette question essentielle, laissant en suspens les principes et mécanismes d’une éventuelle refonte de la régulation du secteur.
Dans un projet de rapport sur la souveraineté technologique pour la commission Itre du Parlement européen, Sarah Knafo préconise la suppression de l’ordre de mérite dans le marché de l’électricité et la restauration d’un cadre favorable au nucléaire, afin d’assurer une énergie stable et compétitive. Elle propose également d’autoriser des dérogations aux règles de contrôle des concentrations pour certains projets stratégiques. Toutefois, ce rapport, porté par une figure d’extrême droite, pourrait être entravé par un « contre-rapport » en discussion entre plusieurs groupes politiques, dont les Verts, le PPE, le S&D et Renew.
L’Acheteur unique pourrait-il être instauré avec un mécanisme d’appel d’offres fondé sur un coût moyen à moyen terme ?
Ce modèle garantirait l’ouverture de la production à la concurrence tout en maintenant un cadre régulé pour la fourniture.
Concrètement, RTE organiserait des enchères sur la base du coût moyen de production, sélectionnant les offres les plus compétitives pour conclure des contrats d’approvisionnement pluriannuels.
L’Acheteur unique : un modèle distinct pour la production d’électricité.
L’Acheteur unique est un modèle applicable à l’ensemble de la production d’électricité.
Il ne doit pas être confondu avec un monopole, car il s’agit de deux concepts distincts.
La France avait initialement proposé le modèle de l’Acheteur unique (AU) au début de la libéralisation du marché de l’électricité, avant d’y renoncer, à l’instar de l’Italie. Actuellement, l’Acheteur unique (AU) est pratiquement inexistant dans le monde, à l’exception de quelques États aux États-Unis.
Dans ce modèle, un opérateur met aux enchères la production d’électricité, sélectionne les offres les plus avantageuses et conclut des contrats à moyen ou long terme, avec des prix ajustés en fonction du coût moyen.
Cela diffère à la fois d’un marché de gros et d’un monopole.
La commission d’enquête sénatoriale appelle à une véritable régulation de la production nucléaire. Elle critique l’accord de novembre 2023 entre l’État et EDF, soulignant son manque de transparence et son absence de protection pour EDF et les consommateurs. Cet accord, jugé juridiquement invalide, affiche un prix moyen de 70 euros par MWh, considéré comme un simple indicateur sans portée réelle. La commission recommande de le remplacer par un contrat pour différence (CFD) pour le parc nucléaire existant, à étendre à tous les moyens décarbonés. Cela permettrait un prix de fourniture d’électricité de 60-65 euros par MWh.
À terme cela pourrait conduire à un acheteur unique.
Les défis de l’Acheteur Unique : retour sur les négociations et évolutions historiques avec Monsieur Lionel Taccoen.
L’incipit est formulé de la manière suivante : « La situation actuelle d’EDF représente l’aboutissement des trois dernières époques de l’énergie nucléaire en France : la Première Époque (1970-1997) – l’Âge d’Or ; la Seconde Époque (1997-2022) – le Déclin ; et la Troisième Époque (2022- ?) – la Renaissance. Les pères fondateurs d’EDF lui ont conféré une mission rare : celle d’assurer le pilotage de la construction de ses centrales. Durant la Première Époque, EDF possédait les compétences nécessaires, lesquelles furent perdues lors de la Seconde, et elle s’attache désormais à les recouvrer pleinement au seuil de la Troisième. »
Chateaubriand, François-René de. « L’aristocratie a trois âges successifs: l’âge des supériorités, l’âge des privilèges et l’âge des vanités. Sortie du premier, elle dégénère dans le second et s’éteint dans le dernier. » Mémoires d’Outre-Tombe (1849-1850).
Monsieur Lionel Taccoen, ancien responsable d’EDF auprès des institutions européennes, a notamment négocié à Bruxelles en faveur de l’Acheteur unique (AU), bien que sans succès.
L’Acheteur unique doit anticiper les besoins et donc les capacités, ce qui est crucial.
La concurrence existe en amont, mais pas en aval. Cependant, le projet d’Acheteur unique de la France, au début de l’ouverture, présentait une faille majeure : l’Acheteur Unique était EDF, ce qui a suscité une levée de boucliers.
Le rapport Mandil de 1994 n’établissait pas de distinction claire entre l’Acheteur Unique et l’acheteur central.
L’Acheteur unique envisagé se distinguait du modèle d’acheteur central par son lien avec EDF et sa focalisation sur les transactions physiques. En revanche, l’acheteur central aurait été indépendant d’EDF, s’appuyant sur le marché spot pour les transactions à court terme et sur des transactions financières pour les contrats à long terme.
Il y avait plusieurs versions de l’AU, notamment l’Italie avait proposé un AU qui n’était pas Enel.
Cependant, très vite, tout le monde a opté pour l’ouverture totale.
Ébranler l’équilibre du marché spot : les problématiques inhérentes à l’application du modèle de l’Acheteur unique (AU) en France.
L’acheteur unique s’approvisionne sur le marché plutôt qu’en se basant sur le coût de production.
Toutefois, aux heures creuses, les prix du marché chutent, car ils reflètent le coût marginal.
Cependant, le concept d’acheteur unique se heurte actuellement aux réglementations européennes.
Bien que le développement de contrats à moyen terme (PPA) puisse être assimilé à une forme d’acheteur unique, la Commission européenne ne souhaite pas que ces PPA deviennent prédominants, car cela risquerait à terme de porter préjudice au marché spot.
Revenons à la question de la standardisation des PPA. Si l’on remonte aux origines du marché de l’électricité, depuis l’ARENH jusqu’à aujourd’hui, il est évident qu’une réglementation rigoureuse a toujours été présente.
Si on régule les PPA pour le nucléaire c’est une forme d’ARENH en plus souple car le prix ne devrait quand même pas être fixé par l’Etat.
Tout au plus une fourchette ?
KeyWoRDS :
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Par Alexis Vessat, docteur en économie de l’énergie, expert en systèmes énergétiques européens.